Paul Bocuse, la mort de l’Empereur des Gueules …

le 20 janvier 2018 :

LA MORT DE L’EMPEREUR DES GUEULES…

Né le 11 février 1926 à Collonges au Mont d’Or dans le Rhône où il est décédé le 20 janvier 2018.
Sept ans déjà que Paul Bocuse « l’Empereur des Gueules » nous a quitté. Il occupait une place inégalée dans la gastronomie mondiale et a laissé de multiples souvenirs à tous ceux qui l’avaient approché. J’avais eu cette chance et l’avait mis en bonne place dans mon « Grand Dictionnaire des Cuisiniers »

Ce jour-là, en couvrant sur son vélo les vingt kilomètres séparant Collonges-au-Mont-d’Or du sommet du col de la Luère à 700 mètres d’altitude, il a sérieusement influencé son destin !

À vingt ans, Paul Bocuse n’a peur de rien et s’offre une montée à travers les bois de châtaigniers, les taillis de chênes, les pins et les sapins qui bordent la route.

Sortant de sa cuisine, la Mère Brazier l’a vite jaugé et, essuyant machinalement ses mains sur son tablier, a porté son jugement. Définitif. « Petit, si tu es monté jusqu’ici à bicyclette, c’est que tu es bien courageux. Je t’embauche ».

En quelques instants, en cette année 1947, sa vie vient de basculer. Bien sûr, il a déjà travaillé dans un restaurant. Dans une famille où l’on fait profession de restaurer les gens depuis 1765, c’est la moindre des choses.

Paul Bocuse par Jean Couty Paul Bocuse vu par son voisin, le peintre lyonnais Jean Couty

Dès l’âge de 9 ans, son père Georges lui a appris à cuire les rognons de veau : découper, sauter au beurre, retirer du feu, hacher une pointe d’échalote, déglacer au madère et couler à la crème en prenant soin d’éviter de faire bouillir.

Au Restaurant de la Soierie à Lyon, en apprentissage chez Claude Maret où, à 16 ans et en pleine période de restrictions, Paul découvre la débrouille dans ce qu’il nommera plus tard un « restaurant de marché noir ».

Au lendemain du Débarquement, il s’engage dans la Première Division Française Libre et reçoit son baptême du feu en Italie, dans les Vosges et en Allemagne. Blessé en Alsace, il est soigné dans un hôpital de campagne américain où plusieurs transfusions lui sauvent la vie.

Démobilisé, il revient à Collonges. Le pont sur la Saône a sauté et la maison familiale est isolée. Tout juste marié à Raymonde, il s’embrigade à La Bressane à Lyon qu’il quitte pour aller chez la Mère Brazier.

Chez elle, il découvre un autre monde ! Première levée, dernière couchée, elle tient ses troupes d’une main de fer. Chez elle, les commis travaillent dur, sans le moindre jour de repos. Ils doivent tout faire : traire les vaches, couper du bois, retourner le jardin à la bêche, faire la vaisselle, repasser le linge et lier les sauces !

Paul Bocuse chez la Mère Brazier Chez Eugénie Brazier en 1964 au col de la Luère, la cuisine lyonnaise est au rendez-vous : Paul Blanc (Thoissey), Paul Bocuse, Jean Vettard, Jean Vignard, Marius Vettard (caché), Christian Bourillot, Roger Roucou, Paul Lacombe (tous de Lyon) et Guy Thivard (Vienne)

Si la période est difficile, il en garde un excellent souvenir : il découvre l’exigence de qualité des produits, apprend à faire une cuisine simple et retient qu’il n’y a pas de réussite sans travail.
Sa prochaine étape est tout aussi déterminante : en 1950, il arrive à Vienne et se fait embaucher à La Pyramide sans révéler son identité.

Deux ans plus tôt, Fernand Point a refusé à son copain Georges Bocuse – tous deux travaillaient ensemble au Royal à Évian – de prendre son fils en apprentissage.

Lorsque Paul arrive, Fernand Point est dans le jardin et vient de se faire raser. Il écoute le jeune homme évoquer son parcours et lorsqu’il indique qu’il vient de travailler au col de la Luère, le verdict est immédiat : « tu commences demain ».

À l’école de Paul Mercier, il apprend son métier et découvre la personnalité du « patron ». « Sa seule règle était l’excellence. Il m’a offert son affection et m’a presque tout appris, notamment qu’il ne faut pas trop compter. »

Deux ans plus tard, il a envie d’aller compléter son apprentissage à Paris. Fernand Point se charge de lui trouver une place chez Lucas-Carton et se propose de l’accompagner dans la capitale.

Place de la Madeleine, sous les ordres de Gaston Richard et avec les frères Troisgros, il apprend la grande cuisine classique. Après son escapade parisienne, il revient à Vienne pour un simple remplacement qui dure finalement trois ans !

En 1954, le pont de Collonges est reconstruit et son père lui demande de venir travailler avec lui. Il n’hésite pas : c’est le temps des fritures, du saucisson chaud et des omelettes. Il fait des saisons à Megève puis en 1957, prend définitivement ses aises près de sa chère Saône, dans la maison où il est né.

Tout va alors très vite : en 1958, avec des couverts en inox et des nappes en papier, il décroche une première étoile au guide Michelin, puis une seconde en 1960 où les toilettes sont toujours au fond de la cour.

Meilleur Ouvrier de France en 1961, Paul Bocuse devient, en 1965 et à 39 ans, le plus jeune chef de l’après-guerre couronné avec trois étoiles : le loup en croûte, le bœuf mode et la volaille à la broche sont alors les classiques de la maison !

La suite s’inscrit dans l’histoire. Propulsé sur le devant de la scène, il y entraîne les cuisiniers dont il se réjouit qu’ils soient désormais propriétaires de leur affaire et qu’il incite à sortir de leur cuisine. Il contribue grandement à ce qu’ils aient désormais un véritable statut social et plus d’un jeune chef d’aujourd’hui a choisi le même métier que lui en le découvrant à la télévision !

null Paul en compagnie de chefs étoilés et de Bernard Pivot à la cuisine de l’Abbaye de Collonges : Georges Blanc, Gérard Boyer, Antoine Westerman et Pierre Orsi

Ses trouvailles font école : les amuse-gueules pour mettre en appétit, le lourd chariot de desserts. Même s’il prétend qu’en cuisine, « on n’invente rien, on adapte, on interprète, on perfectionne », il ne cesse d’innover au piano : le loup en croûte à la mousse de homard, le saumon cru mariné à l’aneth sur une idée piquée en Scandinavie, les volailles de Bresse à la broche remises au goût du jour.

Sur la fresque des « Grands Chefs » signée « Cité de la Création » au restaurant de Collonges, Eugénie Brazier est en bonne place. En compagnie d’Edouard Herriot, Gaston Brazier et la Mère Fillioux

Et que dire de la Nouvelle Cuisine dont avec Charles Barrier, il peut revendiquer la paternité ? Henri Gault et Christian Millau éblouis un soir par une salade de haricots verts « servis croquants, avec une odeur de jardin et une saveur exceptionnelle », évoquent une « cuisine grandiose dans l’extrême simplicité ». Ils contribuent à mettre sur le devant de la scène une nouvelle génération de cuisiniers qui révolutionnent certaines habitudes…

Les années passent et Paul Bocuse est toujours là, avec une cuisine irréprochable.

Paul Bocuse le premier cuisinier immortalisé au Musée Grévin – où Bernard Loiseau l’a rejoint plus tard – est entré de son vivant dans la légende de la cuisine française…

Et ce triste 20 janvier 2018 Paul s’en va… Sept ans déjà !

© Archives Jean-François Mesplède

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